Fragments d’un voyage immobile
Sépànd Danesh peint des tableaux qui figurent l’inclusion à l’infini, dans des coins peuplés d’objets énigmatiques.
Il dessine aussi ; chaque jour depuis une dizaine d’année, une centaine de petits glifs parfois abstraits, parfois figurés, rangés en colonne sur des feuilles A4 qu’il garde dans un coin de sa poche.
Il écrit également, ou plutôt « recopie » à même le livre le texte intégral de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust.
Son travail s’applique à rassembler les éléments épars d’une histoire personnelle, de l’histoire de l’art et de la grande histoire. Le coin sert à ça, à tout mettre là, en attente d’une logique propre, celle de leur agencement. Quelque chose d’une réinvention est à l’œuvre.
L’artiste a quitté l’Iran à 11 ans, a vécu aux Etats-Unis puis en France.
Le déplacement géographique, le changement de pays, de langue a modifié, pour Sépànd Danesh, le rapport au temps. Passant d’une perception linéaire et chronologique du temps et des événements à une perception fragmentée.
La peinture, le dessin et l’écriture servent alors à dire le réel qui advient, dire le vu, le senti, l’éprouvé, le pensé en une tentative de fixer l’indéterminé. Car il s’agit bien d’une langue propre, imaginée, inventée pour répondre au vacillement de la langue maternelle et de la langue ap- prise. Une manière de déjouer le sens.
Son exposition personnelle à Art-Cade, Fragments d’un voyage immobile, rassemble une nou- velle série de tableaux. Il poursuit ses expérimentations picturales sur le coin comme espace de suspension du temps et du mouvement. Il place le spectateur dans un espace de retrait, qui invite à la réflexion tout en neutralisant à la fois notre propre mouvement et les éléments qui composent le tableau. Le coin est un écart dans la continuité du temps. C’est aussi un non-lieu dans lequel tout peut coexister, l’espace du rêve. Celui où le binarisme est mis entre paren- thèse, où la violence du langage est suspendue.
Confrontés à des impasses, nous sommes sans cesse invités à regarder autrement et à nous déplacer, dans l’espace et dans le temps, pour échapper aux structures et aux circulations imposées. Dans ses tableaux, les éléments se conjuguent, les histoires et les temps se télés- copent : architectures minitatures (Stonhenge), fragments d’une Annonciation, cadres vides, structures décontextualisées, voitures militaires, tout cela sur fond de motifs colorés psychédé- liques.
Sépànd Danesh fait un singulier usage de la peinture : à la fois informée, cultivée, pensée et ironique. C’est le propre de la peinture que de cumuler des couches, de superposer des regards. Certes il joue de ses caractéristiques, mais il travaille à les réinventer, œuvre à leur ré-agencement.
Fragments d’un voyage immobile est une promesse d’évasion. Un horizon pour Sépànd Danesh.