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Des lignes pleines et des lignes troubles, différentes nuances de magenta, à première vue une trame qui recouvre la surface de la galerie : murs, sol et plafond. 
À première vue aussi un point de vue, à partir duquel l’image peut être regardée, qui n’est pourtant pas notre œil. 
Une projection.
Ces lignes sont l’image d’un accident d’impression, d’une défaillance de la machine (une imprimante en manque d’encre) agrandie à l’espace. Ce que propose Julien Berthier c’est de complexifier cette première proposition. La trame est une surimpression, non pas au sens où une image se superpose à une autre mais où l’image se superpose au réel.

Empruntant au vocabulaire conceptuel (la copie imprimante, le wall drawing) Julien Berthier le déplace, voire l’inverse. Il agrandit l’image imprimée de la galerie vide (son ratage) à l’échelle de l’espace d’exposition et retourne le geste mécanique en geste pictural. Le dysfonctionnement de la machine dévoile son fonctionnement et surtout révèle un geste, une facture, de l’humain. Ici la reproduction faite de main d’homme figure la reproduction technique, retournant son sens usuel. L’installation est la reproduction d’une reproduction mécanisée à laquelle il rend son hic et nunc (son existence unique au lieu où elle se trouve) dans un mouvement de rematérialisation pour autant in situ et éphémère, voué à disparaître et n’existant que dans le moment de son ex-position. « Une trame singulière d’espace et de temps » (Walter Benjamin).
Adepte des corrections urbaines, dans l’espace extérieur, Julien Berthier interroge ici de l’intérieur nos modes de représentation du monde, du réel, ce que Walter Benjamin nommait « le mode de perception des sociétés humaines ». Il reprend les préoccupations du philosophe allemand, réinterrogeant l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, pour faire apparaître l’appauvrissement du réel représenté. Il se joue des anachronismes et du tout-image et inscrit proprement le spectateur dans une expérience singulière, à l’intérieur d’une image que nous ne pouvons pas voir, celle-ci étant la production/projection d’un appareil photographique. 
L’incongruité de l’installation tient à ce renversement. Un geste qui reconduit en grand la défaillance machinique des couleurs. Dans un monde où le réel est vu à travers les images et les photos souvent la seule existence de l’œuvre, il nous en montre la trace transitoire mais prégnante. Dans ce geste de reconduction, l’artiste nous parle de nos manières de voir.
Sally Bonn

Exposition Julien Berthier
Galerie Modulab – Metz
Commissariat Sally Bonn
5 janvier – 11 février 2017